Le corps humain occupe une place prépondérante comme matrice des formes architecturales. Cette représentation s’est imposée à nous avec l’expérience du projet et la pratique au pied du mur.
L’espace habité, l’espace conçu par l’homme est construit selon des images vivantes mêlant réalité et rêve, sensations et émotions, objectivité et subjectivité. Parmi ces images, le corps humain occupe une place prépondérante comme matrice des formes architecturales. Pour nous cette image s’est imposée avec l’expérience du projet et la pratique au pied du mur. Tout d’abord, les attentes du maître d’ouvrage ne sont jamais purement fonctionnelles et ne peuvent se réduire à des « géométries utilitaires » (1). Ensuite, avec la pratique, la mise en œuvre technique qui est une confrontation à la réalité de la paroi, du sol, de la surface, l’architecture s’anime de vie, elle n’est plus seulement l’enveloppe inerte de nos activités, elle y participe. Enfin, ainsi que l’écrit Paul Valéry, il est des architectures qui chantent (2), elles nous communiquent des sentiments, un enseignement, une énergie. Œuvres du passé et œuvres d’aujourd’hui, elles transmettent des qualités proprement humaines, images de l’homme et du monde qui se révèlent patiemment à l’observateur attentif.
Dans le dialogue que Paul Valéry consacre à l’architecture, Eupalinos explique le processus de création en affirmant : « l’architecture est la projection de mon corps » (2). Il distingue trois grandes catégories : l’utile qui est en relation avec le corps humain, l’esthétique avec son esprit, la solidité avec la nature. Cette image de l’architecture eut peu de succès durant le siècle qui suivit même si le Modulor fut une tentative rationnaliste pour donner à l’espace construit des proportions humaines en rapport avec la proportion dorée. Le terme « anthropomorphisme » est le plus souvent utilisé de manière péjorative, comme si l’apparition de la forme humaine dans l’architecture traduisait une approche naïve et irrationnelle. Pourtant l’anthropomorphisme tel qu’il est pensé par Paul Valéry et plus tard par Bachelard avec les topo-analyses (1), vient en écho à la formule de Protagoras : « l’homme est la mesure de toutes choses ». En donnant forme humaine à ce qu’il crée, l’homme se situe dans une relation physique et symbolique avec la nature : physique parce que le corps qui se projette est le fruit et l’image microcosmique de la nature, symbolique parce que l’âme en se prolongeant sur les murs des maisons entre en symbiose avec elle. Par cet effet de prolongement, par la projection de l’image que l’homme se fait de lui-même et du monde, sont déterminés chaque acte et en particulier ceux de construire et d’habiter. Nous vous proposons une exploration de quelques caractéristiques du corps humain et de leurs reflets ou échos dans l’architecture avec le squelette, la peau, les organes internes, la perception sensorielle, la sexualité et le déroulement physique de la vie.
Le squelette, image de la structuration de l’espace
Le squelette, structure porteuse du corps humain, est articulé suivant les trois plans de l’espace. Par sa constitution, le squelette humain permet la position debout, la verticalité. Cette position a permis le développement de la boîte crânienne (mobile sur l’axe de la colonne vertébrale). Elle a également permis de libérer les membres supérieurs pour des activités manuelles. Le développement du crâne est sphérique mais il est cylindrique pour les membres. A chaque plan de l’espace est associée une polarité. Dans la verticalité, l’homme cherche l’élévation, la résistance à la pesanteur, la relation du ciel et de la terre. Par la position verticale, l’homme a pris conscience des 6 directions de l’espace et de sa situation au centre de ces directions : le bas et le haut, l’avant et l’arrière, la droite et la gauche. Dans la verticalité, la frontalité apporte tout d’abord la perception en 3 dimensions, en particulier par la vue (la double focale) mais aussi le besoin d’une affirmation de soi et d’une progression (de l’arrière vers l’avant, du passé vers le futur). La marche est possible par le déséquilibre et la latéralité, l’alternance gauche/droite. La latéralité est tranchée par le plan sagittal. Derrière la symétrie apparente, la gauche et la droite ont des caractéristiques propres : le cerveau droit est le siège de l’imagination, de l’esprit de synthèse, le cerveau gauche celui de la logique et de l’analyse. Les membres et les organes inversent ces qualités : l’œil droit adopte les qualités du cerveau gauche, etc. Si le plan frontal est pour le corps, lourd, difficile à déplacer, comme un mur qu’il faudrait pousser pour avancer, le plan sagittal est tranchant, il permet la rapidité, la spontanéité. Le plan horizontal est lui dans la relation avec les autres, la sociabilité, la rondeur. L’horizontalité est placée dans le corps autour de l’axe vertical, comme une toupie. Les qualités de ces différents plans peuvent être ressenties dans la pratique corporelle : la danse et les arts martiaux par exemple. L’architecture humaine est structurée par ces directions et leurs qualités : dessus/dessous, avant/arrière, faces latérales. Dans l’élévation, elle est une résistance à la pesanteur, une inversion des forces d’attraction : le lourd devient léger. La latéralité et la frontalité sont mises en relation avec des éléments extérieurs qui donnent l’orientation : le soleil, le climat ou l’environnement construit, le contexte culturel. Mais l’image du squelette humain est particulièrement prégnante dans les éléments de structure, surtout si ces éléments sont en relation avec la croissance du végétal ou de l’animal. En référence à cette croissance des êtres vivants, l’architecture peut être perçue comme une élévation, comme un acte de transformation des forces de la pesanteur. Par la position debout et la libération du crâne, Le squelette humain porte déjà en soi cette transformation de la pesanteur.
La peau prolongée dans l’enveloppe bâtie
La peau, enveloppe externe du corps, remplit plusieurs fonctions vitales : elle assure une protection des couches superficielles de l’organisme et des organes, elle permet des sensations par les réseaux nerveux à sa surface, elle régule l’hygrométrie et la température du corps, elle participe pour une petite part à la respiration, elle absorbe des éléments nutritifs (vitamines, minéraux, etc.). Ces fonctions sont aussi celles qui sont demandées à l’enveloppe de l’architecture : la protection contre les intempéries et contre les agressions, la régulation thermique et hygrométrique par l’isolation et la nature des matériaux utilisés, la respiration (ventilation ou échange par les parois), la sensation (relation de la construction avec son environnement proche), la nutrition (lumière, matières). La satisfaction de ces fonctions implique le choix de techniques et matériaux adaptés mais également une forme, une orientation, une position sur le terrain appropriées. La maison se forme et se déforme selon ces différents besoins, elle est orientée en fonction du climat et de l’environnement, elle s’épaissit du côté des éléments climatiques défavorables, elle s’incline et se retire pour laisser de l’air et de la lumière aux constructions voisines. Ces fonctions de l’enveloppe qui sont le prolongement naturel des fonctions de la peau ne sont pas, bien souvent, pleinement satisfaites comme si la peau était couverte d’un tissu inapproprié : trop grande étanchéité à l’air et à la vapeur, insuffisance de lumière et d’air, etc. Sont en cause la nature et les qualités des matériaux utilisés soit parce qu’ils ne permettent pas en eux-mêmes d’échange de vapeur et d’air, soit parce qu’ils émettent des substances nocives, soit parce que leur mise en œuvre nécessite des palliatifs avec effets secondaires (protection contre des particules indésirables, ventilation pour pallier l’étanchéité excessive, etc.). Afin d’évaluer leurs qualités sanitaires, les matériaux peuvent être classés selon leur capacité à satisfaire les fonctions de la peau : durabilité, isolation, régulation de la température et de l’humidité, échange gazeux, émanations. Le non-respect des fonctions vitales de la peau qui sont aussi celles de l’enveloppe peut être cause de mal-être, de déséquilibre de l’organisme. C’est pourquoi la réalisation d’une enveloppe saine répond aux besoins vitaux du corps humain.
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